Les forteresses romaines

Le lendemain, nous reprenons la route direction plein Sud pour la deuxième partie de ce voyage, la visite des forteresses romaines. Anciennement, il y avait deux pistes d’environ 200 kilomètres chacune qui reliaient l’oasis de Dakhla avec celle de Kharga, permettant le passage aux caravanes d’esclaves et de marchandises qui remontaient depuis le Darfour vers la région d’Assyut jusqu’au Nord de l’Egypte. La piste la moins connue était « Darb el-ghabari » s’avançant sur un terrain plus facile, mais totalement dépourvu d’eau. C’est là que se situe la route actuelle reliant les deux oasis. La plus utilisée était l’autre piste « Darb el arbaïn – la piste des quarante jours ». Il fallait de quatre à cinq jours à dos de chameau ou cinq à sept jours de marche pour parcourir ce tronçon entre les deux oasis, et la piste offrait plusieurs points de ravitaillement d’eau. C’est là que les romains construisirent leurs forteresses, sentinelles du désert afin de contrôler le passage des caravanes.

Après 150 km de route dans un paysage d’abord verdoyant puis ensuite plus aride, composé de buttes rocheuses érodées par le vent et rappelant un peu le Sud-Ouest américain, nous quittons cette route pour rejoindre la piste « Darb el arbaïn ». Très vite la difficulté commence, car le passage n’existe plus, il est complètement recouvert par des grandes dunes. On se plante, on pousse sans effet et on sort les pelles et les plaques à sable. En réalité, nous sommes partiellement dans la grande dune d’Abou Muharik d’une longueur d’environ 460 km et que nous avions longée et suivie au départ de Baharia. Au bout d’une heure d’effort, nous retrouvons un terrain plus roulant et la progression redevient normale. Quarante kilomètres plus au Nord, nous voilà en vue d’Aïn Umm Dabadib « la source des scorpions ». La forteresse est située au pied d’une falaise, c’est un ouvrage d’environ 15 m de haut, 100 de long. Contrairement aux autres forteresses de cette région, ses tours d’angle ne sont pas cylindriques mais rectangulaires. La couleur de ses briques est en parfaite harmonie avec la couleur du sable et des montagnes environnantes. Aux alentours de cet ensemble fortifié, il y a des maisons en ruine entourées de palmiers, d’acacias et de calotropis en fleurs. Des monticules de poteries brisées jonchent les chemins entre les ruines, et Michèle y trouve une petite pièce de monnaie romaine. La dimension de ce site rappelle l’importance de la garnison qui devait y séjourner. Plus au fond, au pied de la montagne, nous allons découvrir des restes de tombes, car elles ont été pillées depuis longtemps, il ne reste que quelques os et morceaux de bandelettes. Le crépuscule approche, et par respect pour ces lieux, nous partons chercher une place de bivouac à quelques kilomètres de la forteresse.

Nous avons repris une piste difficile direction Ouest pour atteindre la deuxième forteresse d’Aïn Labakha « la source de l’arbre ». Une fois de plus, il nous faut chercher les bons passages entre les dunes et les falaises. Nos arrivons en vue de la forteresse, elle surplombe majestueuse et presque intacte les ruines d’un village abandonné entouré de quelques palmiers rabougris. Ses dimensions sont plus modestes qu’Aïn Umm Dabadib, les tours d’angles sont cylindriques. Au Nord de la forteresse, sur une petite colline, nous apercevons les ruines d’un temple construit de briques crues. Un peu plus loin, direction Nord-Ouest, découvert plus récemment en 1991-92 parce que partiellement creusé dans le flanc de la montagne et bien enterré par le sable, se trouve un autre temple dédié initialement à Hercule et plus tard à Piyris, un sage divinisé au deuxième siècle après J-C.Après toutes ces visites et beaucoup de photos, Hossam nous emmène vers une petite maison en brique perchée sur une petite colline, et surprise !, dans cet abri rudimentaire vit un ermite qui a restauré la source d’Aïn Labakha et qui grâce à son eau cultive des légumes dans un jardin d’environ 400 m2. Son âge est indéfinissable vu les traits marqués et burinés de son visage. Il nous accueille traditionnellement en nous offrant le thé à la menthe, puis il nous fait visiter la source et son puits, le système archaïque et manuel de pompage ainsi que son jardin potager.

Et c’est le début du retour, en rejoignant la ville de Kharga pour une visite décevante du temple d’Hibis, car il est en complète restauration et tout est caché par des échafaudages. Nous décidons de rentrer en remontant par les oasis de Dakhla, Farafra et Baharia afin d’éviter Assyut et ses convois de touristes encadrés par des militaires. Ce retour se fait par la route, avec chaque soir une courte escapade dans le désert pour y dresser notre bivouac. C’est lors du dernier bivouac que dame nature nous fait une très belle surprise : au petit matin, alors que la porte arrière du 4×4 est ouverte pour nous permettre de préparer le petit déjeuner, un fennec très peu sauvage saute dans le véhicule et fouille pour trouver de la nourriture. Nous prenons un œuf cuit dur que nous déposons près de nous, et le fennec s’en approche à environ un mètre, s’assied puis se couche et attend que l’œuf vienne à sa rencontre, ce qui nous permet de prendre de superbes photos. Pour le remercier de cette séance de pose, nous faisons rouler la récompense vers lui, il s’en empare délicatement et s’en va le manger à l’abri de nos regards, et cinq minutes plus tard, le revoilà pour quémander un autre œuf.